Christian François Bouche-Villeneuve, alias Chris Marker, né en 1921 à Neuilly-sur-Seine : écrivain, essayiste, photographe, voyageur, cinéaste engagé (nostalgie du communisme) et dégagé (critique ironique de l'inégalité du monde, communisme compris) ; amoureux des Russes, de l'Asie et de ses femmes, fasciné par les arts et les méandres de l'histoire comme circonvolutions de la conscience. Son œuvre audiovisuelle, argentique et électronique, est un théâtre de la mémoire du siècle dernier, revu par l'art nouveau de ce siècle, le cinéma. En contrepoint de ce grand œuvre mêlant images documentaires et commentaires littéraires, Marker tourne des films d'urgence militante (grève, guerre…), basés sur l'entretien avec des protagonistes engagés dans la lutte.
Au sortir de ses études de philosophie, Chris Marker participe à la Libération dans les FTP (Francs-tireurs partisans), puis comme parachutiste dans l'armée américaine.
Dans les années 50, il dirige, aux éditions du Seuil, la collection de livres de voyage "Petite planète", et écrit, dans une collection jumelle, un Giraudoux par lui-même. Les futurs "Commentaires" de ses films seront publiés chez ce même prestigieux éditeur.
Marker écrit aussi sur le théâtre dans la revue Doc, éditée par l'association Peuple et Culture. C'est par ce biais qu'il rencontre Alain Resnais, avec lequel il co-réalise son premier film, Les statues meurent aussi (1950). S'ensuivra une théorie de films-essais, de longueur variée, mariant prises de vues documentaires (photo, cinéma, puis vidéo), images d'archives et cinéma direct, avec la réflexion littéraire et l'engagement politique.
Paradoxalement, son film le plus célèbre est son seul film de fiction : La jetée (1962). Mais ces "scènes de la 3ème guerre mondiale", imaginées en photos fixes (tantôt comme des mauvais rêves prémonitoires, tantôt comme des souvenirs amoureux) formeront, quinze ans plus tard, le sous-titre du Fond de l'air est rouge, documentaire de montage fleuve sur les grandes luttes "de libération" des sixties.
L'œuvre de Marker est ainsi cousue de quelques fils rouges, dont les reprises dessinent des motifs poétiques et politiques à la fois, toujours répétés toujours différents, au gré des évolutions, révolutions et involutions de l'époque : le bonheur/l'histoire, l'amour/l'horreur, l'animal/le sacré, l'art/la mort… Le photo-montage Si j'avais quatre dromadaires (1966) en proposait déjà la matrice, en opposant et apposant deux visions du monde : côté Château (sous le signe du Pouvoir et de Kafka) et côté Jardin (sous le signe du paradis perdu et de l'art).
De même stylistiquement, Marker retravaille à chaque nouvelle création, la dialectique entre souvenir et devenir, espérance (révolution) et désillusion (répression), traduite par le montage polychronique entre images arrêtées/images en mouvement, archives/actualité, et polyphonie entre voix-je du commentaire et voix du monde.
Cette œuvre proliférante et inclassable intègre, depuis les années 80, des installations vidéo et autre CD-Rom Immemory, 1998)
Chris Marker est un homme qui préfère les amitiés discrètes aux apparitions publiques, la conversation aux tribunes et la poésie aux théories. Il sème dans ses films des signes de reconnaissance pour les amis, de même que des amis lui envoient des images du monde qu'il convie dans ses films. Il y a, de par le monde, une internationale occulte des markerophiles, dont le centre est un bar minuscule qui s'appelle "La jetée" dans le quartier chaud de Tokyo, où passent incognitos des cinéastes connus. Wim Wenders a réussi (dans Tokyo Ga) à y filmer Chris, à moitié caché derrière un menu frappé du dessin de son chat favori.
Un véritable bestiaire d'animaux familiers et sauvages parcourt les films de Marker : chat, chouette, dromadaire, éléphant… surtout chat, incarnant tantôt l'innocence que nous avons perdue, tantôt la cruauté des hommes, tantôt un des nombreux mondes parallèles que savent si bien convoquer ses montages. Le chat, c'est à la fois Felix (le bonheur), et le Sphinx, qui dévore celui qui ne sait pas déchiffrer l'énigme du temps.
Rappelons pour finir que l'écrivain et poète Henri Michaux aurait dit : "Il faudrait raser la Sorbonne et mettre Chris Marker à la place."
Pour plus d'infos:
http://crac.lbn.fr/image/ficheauteur.php?id=181